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Divers & variés
21 septembre 2007

Conte de la jungle (Chap. IV)

La girafe raide se ressaisit. Un instant, il avait failli se perdre dans une conversation intéressante, ce dont il n'avait guère l'habitude, ni la réputation. Grand coyote soupira intérieurement et poursuivit son déjeuner, l'air aussi imperturbable que nécessaire. La fatalité ou le doigt rieur du destin, deux avatars d'un même phénomène théologique ou superstitieux, avaient rendu ce déjeuner en tête-à-tête possible, par les désaffections successives des autres membres du terrier central de la communauté. Là, en face de lui, girafe raide mâchouillait distraitement ses feuilles d'acacias, avec son regard si typique de nostalgie mêlée de vacuité, uniforme. Grand coyote reprit un morceau de gazelle sanglante, résigné.

Alors il mena la conversation, lui parla des grands espaces lointains qui l'appelaient, le goût subtil des maillons inférieurs de la chaîne alimentaire qu'il trouvait là-bas. Il lui parle des nouvelles, d'avancées technologiques, de nouvelles méthodes de récolte. Il lui parlera du temps qu'il fait, de l'automne qui s'approche, de sujets communs. Et toujours girafe raide acquiescera, uniformément. A la fin du repas, girafe raide se déplie, grand coyote s'ébroue. Il n'aurait jamais cru que ce moment arriverait, enfin. L'air est frais, soudain.

250px_Eagle_beak_sideview_AAu terrier central, l'activité est modérée. Quelques prospections l'attendent, dans les jours qui viennent, mais difficile d'y trouver un sens, un espoir, une perspective. Il se dit qu'il devrait se ressaisir, sinon ils allaient finir par vraiment le déprimer. Mais sa mission interne se terminait et à part l'insistance suspecte du vautour hagard à l'emmener avec lui aux nouvelles plantations de l'ouest, rien. Certes, vautour hagard était loin d'être le moins doué dans son domaine, mais il restait et demeurait un charognard, cette espèce haïe et crainte à la fois, car elle régnait sur le domaine ultérieur et mystérieux du devenir de ceux qui furent vivants. Grand coyote ne put réprimer un frisson à cette pensée, tenta de se rassurer en comptant les gazelles qui gambadaient en contrebas. Ce n'était pas suffisant.

Il s'en fut trouver le grand pangolin transparent, leur maître à tous, juste et bon, tout du moins ils s'efforçaient à le voir ainsi. Dans un élan cristallin, lui exposa ses doutes et cette aimantation familière qui l'attirait, inexorablement, toujours plus à l'est. Le pangolin le remercia de sa transparence, il ne rougit pas. Les règles de la basse flatterie entrepeneuriale l'interdisaient. Grand coyote sortit un peu soulagé, guère rassuré cependant, d'un terrier qui, entre temps, de plus en plus nettement, sentait le renfermé, l'odeur âcre de la bête fauve et indécrottable, incorrigible. Il croisa belette stylée, pauvre créature malléable, de plus en plus marquée par l'empreinte de ses maîtres, qui lui conférait un arrogance injustifée au regard de son insignifiance crasse. Il soupira intérieurement, une fois encore, puis s'en fut vers sa colline de prédilection, reprendre sa garde inquiète.

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