Examen de passage
Ils sont là, partout, même ici. Ils courent parmi nous et nous ne les
remarquons même pas. Leur présence ne s’avère qu’en de rares occasions, comme
par exemple cette après-midi. Alors que nous nous dirigeons vers le port pour
regarder les bateaux, en voilà une, là, juste devant nous, massive. Une voiture
avec une plaque d’immatriculation allemande, que dis-je, munichoise même. Un
modèle massif, large, genre gros, noir, gras luisant, une Mercedes, échantillon
récent. Aplatie verticalement pour faire plus fine, plus aérodynamique, mais un
gros tank quand même. On n’est plus chez soi.
Alors nous sommes partis vers le port, le Petit et moi, lui content d’avoir
vu un nouveau modèle, moi poursuivi par une malédiction germanique. On compte
et conte les autos, compare les couleurs, les marques. Inouï le nombre de
Renault Clio en ces contrées. Cela fait chaud au cœur, cette hégémonie relative
des petites ouatures. Ceci étant dit, je me demande
qui passe sur une banquette arrière de 107/C1/Aigo.
Mais l’interrogation n’est que fugitive, voici que s’avance vers nous le port
et la criée aux poissons en bout de quai.
D’un côté les derniers bateaux de pêche, parqué sur des quais réorganisés,
plus petits. Puis les nouveaux aménagements de plaisance, pour bateaux de
nantis. A la croisée de ces mondes, le brave chalutier rouillé côtoie le catamaran
de luxe, ce dernier encore emballé dans des toiles protectrices. De l’autre
côté, la longue litanie des restaurants, brasseries et autres spécialités de
crustacés. Les touristes errent, photographient numériquement le départ du
bateau de pêche comme un document historique, léchouillent des glaces en
essorant Médor et rassemblant leur marmaille hyper-stimulée. Quelques-uns
bataillent pour des places de parking, mais en ce dimanche adjacent au 15 août,
bien que peuplée, la zone reste plutôt calme.
Plus loin, le ballet des petits catamarans de l’école de voile qui rentrent,
quelques véliplanchistes. La mer est haute, la bande de sable semble plus mince
que d’habitude, noire de petits insectes affairés, combats de murets de sable
hâtivement érigés contre l’inexorable reflux. C’est dimanche sur le remblai,
les scènes pour la soirée sont montées, les microphones réglés. Les
automobilistes passent au ralenti, remarquent un peu tard la mince piste
cyclables adjacente, alors qu’ils chatouillent les côtes des cyclistes de leurs
rétroviseurs. Dans ce brouhaha, quelques animations, quelques publicités. Un
type déguisé en ours distribue des poignées de mains aux petits enfants. Il
doit crever de chaud, là-dessous. Et là, une camionnette.
Sur cette camionnette, un logo resplendissant, au design impeccable. Quelque chose comme « France models », tape-à-l’œil standard. Un petit texte explique l’arrière-plan de toute l’action : trouver la prochaine génération de mannequins français. Je pense à ma reconversion, une pensée me traverse. Je me redresse, rentre le ventre. Mais mon ballottin habituel, perché sur mes épaules, est soudain saisi du besoin d’exprimer son euphorie balnéaire, entonne une mélodie simple, se raidit un brin sur ses rênes. De toute manière, le métrosexuel gominé qui distribue des tracts est trop occupé à ânonner des bribes d’anglais pour convaincre des hollandaises de prendre son petit papier glacé. La blonde melonnée qui a en charge l’autre moitié du public regarde la mer d’un air absent. J’ai raté mon examen de passage, mais le Petit continue cette comptine dont je ne comprends pas les mots. L’ours est plus loin, derrière, incapable d’essuyer son front. La caravane publicitaire du cirque Pinder passe à grand bruit, sous l’œil atone de quelques CRS parsemés. Une fin de dimanche après-midi d’août, en somme.