Organisation
La plage, on ne s’en rend pas compte, mais c’est
énormément de logistique. Et le tout, sans entraînement. Fou. Il y a le sac. Le
sac est toujours trop grand avec des poignées trop petites, contient des objets
tellement contradictoires qu’ils refusent de s’ordonner et prennent des angles
libres, parfois au détriment de leur étanchéité. Le sac, lui, il s’en fout, il
est conçu pour les environnements extrêmes, c’est-à-dire ce subtil mélange de
sable collant, de crème solaire et d’eau de Luchon de Super U qui imbibe
joyeusement la serviette éponge et le bermuda de rechange. La pelle en profite
pour se cacher au fond, glissant vers la droite quand on cherche vers la gauche
et vice-versa (car la pelle est chafouine).
Il y a ce petit d’homme de 12 kilos qui, bien sûr,
après quelques mètres, se refusera à continuer ailleurs que sur les épaules de
la personne la plus grande du groupe (si groupe il y a). Ensuite décidera qu’il
veut descendre, pour mieux remonter plus loin, parce que les voitures puent. Le
petit d’homme profitera de ces instants précieux pour appliquer à Papa des
massages capillaires de son invention (mais la plupart du temps pas du goût de
l’autre), tout en menaçant gentiment son équilibre par des retournés inattendus
parce qu’il y avait un chat sur la dernière fenêtre devant laquelle nous étions
passés (le chat, lui aussi, est chafouin).
Il y a le petit bonhomme rouge qui ne veut pas
devenir vert (alors que l’autre est beaucoup plus coopératif), le touriste
allemand perdu (mais si, suivez votre navigation, bien sûr, il y a un pont
au-dessus du chenal, plus loin… plouf…) et les caravanes publicitaires (Guignol
ce soir place du marché grande représentation exceptionnelle près du cirque Bozo
et son grand spectacle d’otaries). Obstacles dérisoires au regard du reste,
certes. Mais l’arrivée sur la plage ne serait pas un tel accomplissement si le
chemin n’était si difficile, le sac ballant sans bandoulière à une extrémité
aléatoire, le Petit autour du cou, ayant déjà tartiné sa crème solaire
prophylactique sur le devant des lunettes de soleil de papa, reconverti en mulet
demi-aveugle.
Voir l’Atlantique a cependant toujours cet effet
rassérénant, un instant. Et cette perspective de se fondre dans la masse, fourmi
parmi les fourmis, petit point insignifiant délimitant son territoire dérisoire
par un drap de bain bariolé, sous le soleil qui monte et la mer qui descend (au
mieux, sinon c’est encore plus drôle). L’arrivée sur la plage est aussi un court
moment de désillusions choisies. Par exemple, le Petit court content vers les
vagues et par un hasard rarement heureux, mais très souvent reproductible,
s’étale dans la première flaque venue, au milieu d’une plage pourtant sèche
alentours. C’est le moment où l’on se rend compte que, si le sac est bien rempli
à ras-bord de choses utiles, c’est le t-shirt de rechange qui est resté à sécher
sur la terrasse, maintenant je me souviens bien. D’autres choses manqueront,
elles aussi, jamais les mêmes, toujours un peu différentes, abandonnées en
divers endroits connus rétrospectivement, où elles étaient pourtant bien à leur
place, un fugitif instant. En de telles circonstances, l’homme de bien, pourtant
entraîné à négocier de difficiles acquis futurs et autres business, ne saura
être qu’évasif et regardera la mer, soudain plus fascinante que d’ordinaire,
pour échapper aux regards emplis de reproche qui soudain le transpercent. Et sa
rhétorique d’ordinaire implacable se muera en un court meuglement
évasif.
Le reste de la matinée se passera à contempler les
vagues et s’adonner à des activités inutiles, mais enrichissantes, comme chasser
le bernard-l’hermite, courir en ronds, maçonner des tas de sable, observer la
métamorphose quotidienne du thon blanc en thon rouge et surtout (vive la mixité)
regarder les sauveteuses en mer. Et en début d’après-midi, alors que les
générations adjacentes (i.e. la précédente et la suivante), unies dans la
sieste, lui foutront la paix, l’homme de bien (encore lui) se souviendra, avec
un petit sourire, ces instants en définitive paisibles qui font qu’on revient
toujours.