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Divers & variés
6 septembre 2007

Le candidat

Tiens, on sonne... La secrétaire ouvre la porte, là-bas. On entend une discussion courte et polie, puis on la voit passer, direction le bureau de l'hystérique. Elle lui dit que son rendez-vous est arrivé, lui de s'esclaffer "ah, enfin!", oubliant la porte ouverte, le fait que le type est en avance et lui, maladivement en retard. Elle repasse, diligente. Je me fais peut-être des idées, mais j'ai comme l'impression qu'elle a l'air plus fatiguée que la semaine dernière. Encore une discussion courte et polie, discrète, là-bas, à l'entrée, où le nouveau venu doit avoir choisi un siège et déjà jeter un oeil anxieux sur les piles de magazines techniques maniaquement empilées sur la table basse. Il a déjà franchi deux épreuves, mais il n'est pas au bout de ses peines.

La première épreuve: navigation géographique et autonomie directive. Trouver la bonne entrée du bon numéro de la rue (car il y a deux corps de bâtiment avec le même numéro, qui ne communiquent pas). Inclut les épreuves: mémoire visuelle (reconnaissance du logo) et témérité technique (oser appuyer sur le bouton de l'ascenseur exigu qui n'inspire pas confiance). La deuxième épreuve commence une fois la porte franchie: positionnement mobilier. Autrement dénommé: où s'asseoir et comment? Choisira-t-il le fauteuil ou bien le canapé deux places? S'assiéra-t-il en avant du siège ou plus profond, penché en avant ou en arrière? Chacune de ces décisions devra être mûrement pesée car influera sur le cours futur des événements. Inclut le test calligraphique (inscription sur la liste des visiteurs) et les intérêts personnels (choix du magazine d'attente). Test subsidiaire: capacité sociale. Un consultant (de préférence mal rasé et sans cravate) sort de la salle commune pour aller aux toilettes ou au point d'eau sis stratégiquement près de l'entrée. Le candidat osera-t-il lui adresser un salut?

gobeletL'hystérique saisit compulsivement son téléphone et appelle quelques clients au hasard, sans doute pour compenser l'heure toute prochaine où, discutant avec la créature bipède maintenant lovée un brin crispée dans l'entrée, feuilletant avec appréhension "La semaine des semi-conducteurs", il ne pourra plus caresser son combiné chéri que du regard. En conséquence, toute prévisible pour nous, ceux qui savons et en avons vues d'autres, il est en retard et l'heure tourne. Le monsieur assis dans l'entrée se sent de plus en plus seul dans son petit costume et sa cravate doit le gratter horriblement. Commettra-t-il l'erreur d'aller aux toilettes? C'était bien sûr calculé, sinon pourquoi y aurait-il dans l'entrée un distributeur d'eau glacée? Et alors qu'il se décide à avancer doucement vers le bureau de la secrétaire (pardon, de l'assistante d'équipe) dont la porte entrebâillée n'est guère engageante, pour lui demander où sont les toilettes, voici que l'hystérique (ça, c'est moi qui le dit, lui, il ne le sait pas encore, quoique dans une demi-heure, il sera plus avancé) surgit hors de son bureau dans le couloir d'en face, l'apostrophe amicalement, lui serre la main, lui désigne la pièce ouverte et déclame: "Excusez-moi pour le retard, je vous laisse prendre place, je passe aux toilettes et je suis à vous, puis-je vous offrir un café?" et s'engouffre derrière cette porte qui l'avait jusqu'à présent anonymement nargué.

La gorge et la vessie serrées, le candidat fait quelques pas en direction du bureau ouvert, hésite quelques instants, troublé par les sourires étrangement bienveillants des personnes qui le regardent, là, dans cette pièce légèrement plus grande, derrière leurs écrans. L'hystérique revient, éventuellement avec un café et des mains propres, lui demande ce qu'il pense du temps qu'il fait, lui livrant déjà une réponse dans sa question: "Il ne fait pas beau, hein?". C'est déjà l'épreuve suivante: connaissance météorologique. Un acquiescement poli est en général suffisant, toute autre forme d'argumentation est superflue. Et la porte se ferme derrière lui sur un petit bureau étriqué en longueur. Il lui semble avoir entendu la clef tourner dans la serrure, mais ce sont sûrement ses nerfs qui doivent jouer avec lui. La porte-fenêtre double donne sur un balcon séparé par un filet de la place en contrebas. Toute tentative de fuite par cette voie est donc vaine. La petite table ronde face à sa chaise permet à peine de déplier un A3, il a froid et aimerait bien faire pipi. Mais la créature étrange à la cravate flamboyante en face de lui est déjà dans une trance oratoire et lentement hypnotique. Il se sent glisser, s'accroche. L'heure qui suivra changera sa destinée dans une mesure qu'il n'aurait imaginé...

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