Conte de la jungle
A avoir lu des livres pour enfants tout haut tous les soirs des vacances,
je ne pouvais que m’émerveiller devant l’inventivité dont les auteurs en font
preuve, ainsi qu’un certain talent graphique. Alors je voudrais bien m’y
essayer, moi aussi, mais peut-être suis-je trop subversif pour cela… Tentons
l’aventure.
Il
était une fois dans la jungle africaine profonde, si profonde que jamais
l’homme n’y mit pied, une petite communauté. Cette communauté était composée
d’animaux divers, d’horizons variés, tous réunis là pour des raisons
étrangères, parfois très loin même de leur écosystème initial et nécessaire.
Mais tous se retrouvaient dans l’idéal de cette petite communauté constructive
et même idyllique par certains côtés. Sous la houppe bienveillante du grand
pangolin transparent et ses seconds, chacun vaquait paisiblement à la récolte
des bananes et cacahuètes pour le plus grand bien de tous.
Des
équipes s’étaient formées, dispersées géographiquement, par plants de bananes,
chacun sous la direction de l’un des seconds. Vautour hagard était le plus
puissant d’entre eux, spécialisé dans les cacahuètes, mais la disparition
subite de vautour chafouin des plantations de l’ouest lui ouvrait une nouvelle
destinée autonome, avec cet espoir de devenir, lui aussi, un jour, totalement
transparent, tel son mentor craint et vénéré à la fois. Arrivaient ensuite, par
ordre hiérarchique, la girafe raide, le berger allemand et la hyène rieuse. Phacochère
cyclothymique venait de quitter la communauté pour retourner au pays de ses
pairs, plus au nord. Belette stylée s’occupait des membres de la communauté,
les encourageait, leur apprenant de nouvelles techniques de cueillette ou de
récolte.
Tout
ce petit monde vivait heureux, dans une saine abondance. Il faut dire que
chacun recevait des bananes à satiété et prenait régulièrement de l’exercice,
chaque jour. Tous, sauf quelques éléments désœuvrés en marge, quelque peu
subversifs, dangereux même. Leurs plants habituels venaient d’être mis en
jachère provisoire. Hamster dépressif et suricate myope étaient deux d’entre
eux. Grand coyote le plus imprévisible. Pour le préserver de son influence
négative, suricate myope fut parachuté dans une plantation du sud, près d’un
lac, joli, un peu à l’écart.
Parfois,
grand coyote partait avec l’hyène rieuse à la recherche prospective de
nouvelles plantations ou de nouveaux filons. Cet animal le crispait
profondément, mais il essayait de faire contre mauvaise fortune bon cœur et
essayait de penser au bien de tous. Grand coyote était un cas difficile, aux
yeux de la direction de la communauté, car s’il savait très bien cueillir les
bananes et des bananes de meilleure qualité aussi, il était promptement sujet à
des changements d’humeur parfois massifs et remettait facilement en cause
l’équipe dirigeante ou même les méthodes de récolte elles-mêmes. Pangolin
transparent essaya maintes fois de le raisonner, en lui expliquant certains
secrets de transparence et la formule secrète de la motivation. En chaque animal,
disait-il, nichent trois besoins : l’un de bananes, l’autre d’ascension et
un troisième variable, décelable seulement par une longue expérience de
transparence. Grand coyote demeurait impénétrable à ses tentatives de découvrir
ce troisième élément. Grand coyote dépérissait, certes toujours fourni en
bananes fraîches, mais frustré du sentiment enrichissant de la cueillette,
grand coyote avait besoin d’action. Chaque nuit, pour des raisons
inexplicables, grand coyote, juché sur une colline, fixait l’est et hurlait à
la lune.
Grand
coyote allait partir, c’était de plus en plus évident. Mais quand ? Et
surtout, dans quel état laisserait-il la plantation principale ?...
La suite dans un prochain numéro.