La maison de la Presse
J’aime bien aller chez le buraliste, en France. Je trouve toujours des
choses fascinantes, des sources inépuisables d’inspiration et même parfois des
journaux intéressants. Ceux que je n’ose pas regarder de trop près (non, pas
ceux avec des jeunes femmes souriantes melonnées), je les trouve au chevet de
ma grand-mère, j’ai nommé, deux flambeaux éditoriaux de notre France à nous
qu’elle serait différente si elle n’était pas pareille : France Dimanche & Paris-Match. Bêtement ignorant, je me
disais que Paris-Match était une
version beaucoup plus évoluée, presque propre, du précédent. OK, il y a des
gens qui prennent Bild
comme référence de la presse allemande, il faut être beau joueur. Donc ces
temps-ci, je parcours, que dis-je, je lis même partiellement Paris-Match pour être au courant. Et j’y
lis des histoires qui me remplissent d’effroi. Non pour leur contenu, mais
plutôt l’abîme d’inventivité éditoriale relevé, heureusement, par quelques
photos, il faut bien le reconnaître, joliment faites, même si sanglantes la
plupart du temps.
Après les épidémies d’autocars polonais, les accidents de manèges et les
morts estivales de grands hommes (apparemment, les femmes préfèrent mourir en
automne ou en hiver ?), c’est crispé que je repose les périodiques sur la
table basse, frissonnant. Alors je prends Marianne
et les autres journaux pseudo-réactionnaires-véridiques, pour changer. Je lis des
affaires, des abus, des exagérations, des droits, des devoirs. Cela me donne
mal à la tête, je repose, je retrouve mes amours de jeunesse, lorsque jeune et
con je me passionnais pour La Recherche
et Pour la Science, étreignant
amoureusement mon Science & Vie
mensuel. Mais même ça ne me fait plus rien.
Alors je parcours les vastes étagères du regard, cherchant à percer les
secrets de ces empilements savants où seul le buraliste peut retrouver ses
petits. Maisons & Jardins.
Ah ! Rustica,
plus loin, des manuels de jardinage avec dévédé, une
série en 100 numéros au prix de lancement de 2€30, première truelle incluse.
Les mensuels de tuning, de traficage
de mobylettes, d’autos trop chères pour même les regarder en photos. La presse
féminine, semblable à elle-même avec son énième grand test sexe de l’été
(« Etes-vous clitoridienne ou vaginale ?») et son plan de remise en
forme pour la rentrée après des vacances crevantes, à force de remplir des
quizz-jeux. Tiens, quizz-jeux, un pan de mur entier de sudokus,
de force -1 (à découper) à force 5.5 (construisez vous-même votre
supercalculateur pour le résoudre). Quelques rubriques cruciverbistes, ils
existent encore, la civilisation des chiffres n’a pas encore totalement pris le
dessus.
Je préfère encore la presse masculine et le rayon du haut. Les melons
glacés ont quelque chose d’attirant. Les textes, non. Mais je retrouve des
personnalités que je pensais disparues (Ophélie Winter ?!). Ce qui
m’intéresse vraiment, je ne le trouve que plus bas, au rayon enfants. Hérésie.
Les seules vraies revues de bandes dessinées sont parquées là, entre quelques
mangas anonymes, Lanfeust Mag, Spirou (dans le
meilleur des cas) et Fluide Glacial.
Je retrouve la même revue que l’année dernière, j’aurais dû m’abonner. Lisez [dBD], je vous
le dis. C’est bien fait et les articles sont bons. Essentiel pour l’expatrié en
manque de petites cases encrées.
Je quitte la maison de la Presse. Autour de moi, les colonnes de cartes postales se sont resserrées pour faire la place à une nouvelle menace, les fournitures de rentrée. Les vacanciers essayent de les ignorer, au mieux les toisent d’un regard qui se voudrait vainqueur, mais au fond d’eux, l’inexorable a commencé à les ronger, lentement, petit cancer vicieux : les vacances ne sont pas éternelles et bientôt, très bientôt, trop bientôt, tu retrouveras tes rues parfumées de diesel, là-bas, où tu dors et travailles. Là-bas aussi, il y a une maison de la presse, somme toute très identique. Tu n’y vas jamais…